Grand entretien avec Florence Ashley
« Les ‘‘thérapies de conversion’’, fondées sur l’idée erronée et préjudiciable que la diversité sexuelle et des identités de genre est un trouble à corriger, sont de nature discriminatoire. De plus, le fait de soumettre les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et personnes de genre variant à ces pratiques est, par essence, dégradant, inhumain et cruel, et les expose à un risque élevé de torture. Les États doivent examiner les cas concrets à la lumière du cadre international, régional et local relatif à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »[1]
Ce sont sur ces mots que s’ouvrent les conclusions et recommandations d’un rapport de Victor Madrigal-Borloz sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans ce rapport, on peut notamment voir au détour de la page onze une note citant Florence Ashley.
Florence Ashley travaille, en mobilisant le droit et la bioéthique, sur les enjeux trans (droit de la famille, des enfants et adultes créati.fs.ves dans le genre, tension entre approches thérapeutiques et perspectives juridiques,…). Ille reste toutefois ouverte aux résonnances avec d’autres disciplines et sujets : « Je me limite pas, si j’ai des idées ailleurs, j’y vais ». Certains de ses travaux ont notamment porté sur la linguistique et l’écriture inclusive. À ce titre, on remarquera un passage à la soixante-septième page du guide Apprendre à nous écrire : « Comment les personnes non binaires peuvent-elles exister socialement si elles ne sont pas permises dans la langue ? Être n’est pas un caprice. »[2].
Son parcours militant a également fait émerger une forte conscience des oppressions vécues par sa communauté. Ille a été la première personne ouvertement transféminine à travailler en tant qu’auxiliaire juridique au sein de la Cour suprême du Canada – la plus haute instance juridictionnelle du pays.
Alexis Grussi, de l’équipe Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures a eu la chance de rencontrer Florence le 1er avril 2022, date officielle de sortie de son dernier ouvrage Banning Transgender Conversion Practices – A Legal and Policy Analysis. Au fil des 220 pages, l’autaire nous propose d’approcher la complexité des thérapies de conversion d’un point de vue juridique et politique. Vous l’aurez compris, il n’est pas uniquement question de s’adresser aux professionnel.le.s œuvrant auprès des personnes de la diversité sexuelle et de genre, ni des communautés qui composent la constellation de ce terme parapluie, mais bel et bien de proposer un regard précis et expert sur les bonnes pratiques – en terme de droit notamment – afin de bannir ces pratiques inhumaines que sont les thérapies de conversion. Dans ce sens, le travail de Florence est destiné à toutes les personnes et institutions souhaitant approcher avec préséance les maux vécus conséquemment aux pratiques dénoncées par une pluralité de voix s’élevant aux quatre coins du monde. L’une de ces voix se nomme Florence Ashley.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Florence, merci beaucoup de nous accorder une entrevue. Toutes nos félicitations pour ton travail !
Ton livre s’intéresse aux thérapies de conversion et aux pratiques problématiques associées, d’un point de vue légal et des politiques à mettre en œuvre pour les bannir. Dans ce sens, as-tu l’impression d’avoir pu réaliser un témoignage personnel issu de ton vécu – ou tu situes ton travail plutôt du côté de l’analyse ? Les deux axes peuvent-ils se répondre malgré des réflexions complexes qui peuvent être dépersonnalisées ?
Florence Ashley – « Étant trans, j’ai un rapport très particulier avec la notion de témoignage ; qui s’oppose souvent à la notion d’expertise. Donc il y a cette tendance – sur laquelle j’ai écrit – où les personnes trans sont un peu des machines à témoignage qui parlent juste de leurs expériences personnelles et puis ensuite on amène des personnes expertes de l’externe qui offrent la perspective considérée comme étant plus valide et érudite.
Il est certain donc que j’ai de la difficulté à me distancer de cette perspective et de cet enjeu-là, toutefois je dirais qu’en général, mes travaux ont toujours une composante auto-ethnographique[3]. Il est issu de mon vécu et de mes expériences ; non seulement sur le plan personnel et interpersonnel, dans le sens où, même si je ne fais pas des recherches empiriques[4] avec mon livre, le fait de vivre, complétement intégrée avec les communautés trans et d’être active politiquement dans les luttes contres les thérapies de conversion dans un prisme où j’essaie toujours d’assurer la représentation des voix des personnes ayant survécus aux thérapies de conversion, fait qu’à un moment donné, le cercle professionnel, activiste et personnel deviennent presque impossibles à se distinguer.
Je pense notamment à la dédicace de mon livre. Erika Muse, qui est une femme trans absolument brillante, qui a vécue des thérapies de conversion et dont l’activisme a été intégral. Elle a œuvrée tant à la loi ontarienne, qui est en fait la première loi qui a centré l’expérience des personnes trans pour vraiment prohiber les thérapies de conversion mais à également été très active sur le plan fédéral en témoignant devant le gouvernement. En écrivant la première version de ce livre, qui est issue de ma Maîtrise – en droit option bioéthique ndlr – j’ai tiré beaucoup de son expérience. Elle a été un immense support dans l’écriture du livre, car évidemment il est très différent de mon manuscrit universitaire. Beaucoup de mon raisonnement à été développé en collaboration et en interaction avec elle. Nous avons également collaboré avec No Conversion Canada dans des actions durant lesquelles j’ai pu tisser des liens forts avec d’autres personnes. À moment donné, tu es dans contexte ou tu es intégrée avec les perspectives des personnes ayant vécues des thérapies de conversion et leurs expériences informent le livre, même si le livre ne fait pas que dire ce qu’elles ont vécues. C’est dans ce sens que je vois mon travail comme un travail de traductaire ; tout ce que je fais c’est prendre leurs expériences, et les traduire dans un langage qui est compréhensible du droit et des personnes en politique. Le témoignage est d’une certaine façon cachée dans mes travaux mais c’est son âme, ce qui explique tout ce qui est là. C’est ce qui explique ce que le livre lui-même est. Tant du point de vue de mes motivations, mais aussi du pourquoi j’écris certaines choses et pourquoi je parle de tels ou tels enjeux, car ce sont des enjeux que j’ai vus pour de vrai, ce n’est pas juste du théorique pour moi.
Je pense que ça nous amène un peu à l’aspect double au niveau de la positionnalité, où je suis simultanément insider et outsider de cet enjeu-là. D’un côté, étant une personne trans, les pratiques de conversion ont toujours été un risque pour moi et ont aussi un impact sur moi dans le sens où c’est tellement dégradant, autant au plan de ma santé mentale, mais aussi sur les personnes autour de moi et sur les personnes de qui je dépends sur le plan interpersonnel. N’oublions pas que je suis aussi en communauté avec des personnes trans – mes ami.e.s, mes exs, etc. – qui ont vécu.e.s des thérapies de conversion. Cela produit donc une forme de trauma vicariant. Je suis pas une personne qui est directement touchée par les thérapies de conversion mais qui reste plus touchée par celles-ci que la majeure partie des personnes qui ne sont pas directement concernées. Mon rapport au témoignage est aussi plus complexe car il n’est jamais témoignage de mon expérience, mais en même temps, relève de mon expérience du monde et des autres. »
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci beaucoup pour tes mots. Pour continuer sur la structure de ton ouvrage, pourrais-tu revenir sur les points que tu traites ? Tu abordes notamment les politiques publiques, juridiques – et leurs interactions. Est-ce uniquement un éclairage canadien ou tu vas voir à l’international ?
Florence Ashley – « J’aborde des perspectives internationales. C’est aussi en partie un livre théorique, ce qui permet d’aborder des aspects sans nécessiter d’ancrage juridictionnel. En même temps, c’est inévitable que de faire cette recherche du Canada et en tant que personne qui à étudié en droit canadien à quand même un impact important.
En somme le livre se compose de sept chapitres.
Le premier est plutôt général : C’est quoi les thérapies de conversion ? Ça ressemble à quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le second observe la loi qui prohibe les thérapies de conversion : Qu’est-ce que ces lois font et à quels points peuvent-elles s’étendre ? Quelles pratiques sont concernées ? C’est surtout un exercice d’interprétation et j’ai donc choisi la loi provinciale de l’Ontario, car c’est la seule loi qui à centrée les expériences des personnes trans dans son texte.
Ensuite un troisième chapitre s’intéresse aux variantes à travers le monde : Ça à l’air de quoi les différentes lois ? Comment diffèrent-elles ?
Puis j’aborde dans un quatrième chapitre les différentes tentatives d’attaquer ces lois-là sur le plan constitutionnel – en particulier du point de vue de la liberté d’expression et de la liberté de religion, etc.
Cinquièmement j’essaye d’être générale mais qu’on le veuille ou non, la plupart de la jurisprudence vient des États-Unis. Je n’ai donc pas vraiment le choix de centrer les perspectives tout en essayant d’être suffisamment générale pour que ce soit intéressant dans d’autres pays. Aussi, même si il y a beaucoup de nuances, en droit constitutionnel et en droit de la personne, il y à quand même une structure de base qui se ressemble, et à partir de là, bénéficier d’informations généralisables.
Je continue avec un typique avantages/inconvénients qui débouche sur le chapitre 6 prenant acte des limites des lois et pose la nécessité du développement d’une culture professionnelle affirmative qui rend les thérapies de conversion impensables.
Finalement, je conclus avec le magnum opus du livre, qui est une loi annotée, très détaillée, imposant la prohibition des thérapies de conversion. Non seulement il y a la loi modèle mais elle est aussi accompagnée de commentaires sur les mots choisis, les détails, etc. Le but étant que cette loi modèle-là puisse servir de fondement aux lois futures car actuellement, les lois qu’on à, ne sont pas efficaces.»
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci Florence pour ce résumé détaillé. Il pourrait être intéressant de réfléchir à la manière dont, à partir de tes expériences, recherches, et expertises professionnelles, tu peux aussi créer du droit. Comment réfléchir l’appareil juridique et politique et donc mêler tes savoirs expérientiels à tes analyses pointues ?
Florence Ashley – « C’est complexe car tout le monde crée du droit. Notre monde est régi par les droits et l’effet principal d’une loi est de régir notre comportement de façon interpersonnelle dans un but d’auto-régulation. Par exemple, je sais que je ne dois pas traverser la rue en-dehors d’un passage piéton, sinon je peux risquer de me faire rappeler à la loi.
Tout cela veut aussi dire que le spectre social de loi est beaucoup plus important que ce que la loi dit réellement. Cela rentre donc dans la philosophie de mon livre. Il s’agit de comprendre que quand des personnes se transmettent des informations sur une loi, que ce soit véridique ou pas, cette information-là adopte un poids social qui n’a pas forcément de raison logique d’être distinguée d’une vraie loi. La ligne entre ce qui est loi et ce qui ne l’est pas est très floue et je pense que c’est important de comprendre que tout le monde crée du droit. Lorsque l’on comprend ça, on comprend pourquoi les lois actuelles ne fonctionnent pas, dans la mesure où si le but d’une loi est d’avoir un effet sur le comportement, de créer des conditions d’inter-régulation et d’auto-régulation, le simple fait de dire : « Ceci, c’est non », n’aura pas l’effet escompté. Premièrement si je dis « Non » aux thérapies de conversion, les personnes qui les réalisent n’auront qu’à dire que ce n’est effectivement pas le cas. Ce n’est donc pas très utile. Il faut avant tout penser les lois non pas comme punitives, ni même correctrices, mais pédagogiques. On peut donc penser à la manière dont les lois informent les individus sur les comportements qui sont attendus.
C’est donc là qu’il est important de nommer de manière très détaillée sur ce que sont, et ne sont pas, des thérapies de conversion. C’est là tout le but de mon livre.
Toutefois je ne crée pas moins du droit lorsque j’écris un livre que lorsque j’écris un article de journal. La différence est relativement mineure sur le plan qualitatif. Sur le plan quantitatif, il y a des hiérarchies d’autorités qui sont utilisées par les juges, etc. Mais je n’ai pas encore l’influence nécessaire pour qu’un.e juge ou une législature utilise mon livre. Et si tout le monde l’ignore, je ne crée pas plus de droit sur le plan quantitatif qu’un article de journal. Mais on pourrait dire moins, car un livre comme ça, c’est beaucoup moins d’influence sur le plan publique qu’un article dans la presse.
Après ça, comment je ressens mon rôle d’autorité sur le pan législatif – qui est un rôle que je détiens à cause du livre ? J’ai pas particulièrement le sentiment que c’est moi qui suis dans cette position, si ce n’est que j’aimerais mieux à ne pas avoir à faire ce travail. J’aimerais mieux que les thérapies de conversion n’existent pas. J’aimerais aussi qu’il y ai suffisamment de capacités, de privilèges, de ressources et d’avantages pour les personnes ayant survécues aux thérapies de conversion, afin que je n’ai pas besoin de prendre ce rôle-ci. Mais en même temps, ça revient un peu au fait que les thérapies de conversion sont tellement traumatiques que, c’est excessivement difficile de faire ce travail-là. Surtout car ça te retraumatise. C’est beaucoup moins traumatisant pour moi qu’une personne ayant vécue les thérapies de conversion, malgré le fait que c’est tout de même très traumatique pour moi. C’est toujours ce jeu, qui induit que les personnes qui sont les mieux placées (pouvoir, autorité), sont souvent les personnes privilégiées au cœur de certains groupes. Dans ce cas-ci, dans les communautés trans, étant plus privilégiée, n’ayant pas vécue de pratiques de conversion, j’ai beaucoup plus de capacité à faire ce travail-là. En même temps, c’est très méritocratique le système politique. Mon nom est dès lors beaucoup plus prisé par rapport à une personne qui à beaucoup plus d’expérience avec les pratiques de conversion mais qui n’est pas au doctorat à l’Université de Toronto, qui n’a pas été auxiliaire juridique à la Cour suprême… Je pense que c’est un gros problème.
Ça devient aussi compliqué car écrire une loi, c’est très technique, c’est pas juste une question de compréhension et de grande pensée mais plutôt de détail fin : « C’est quoi ce mot-là et comment est-ce que ça rentre dans le système juridique qui utilise certains mots spécifiques dans des lois. ».
C’est très complexe d’être située comme la personne qui « crée » du droit – ou qui plutôt, on pourrait dire, est écoutée par les personnes en politiques, les gouvernements, etc.
Je pense aussi que honnêtement, malgré le fait que mes mots se retrouvent dans certaines lois, à cause des travaux que j’ai menés avec divers gouvernements, ces mots souvent plus les leurs que les miens. Dans le sens où, notre activisme et nos travaux de recherche sont sélectionnés sur le volet et reflètent plus les priorités législatives que celles des personnes ayant vécus des thérapies de conversion ou les suggestions des personnes qui ont une expertise académique sur le sujet.
La question « À quel point créent-on du droit » se pose alors. Plutôt que de servir de marionnettes où nos mots sont utilisés mais d’une façon qui est impossible à reconnaitre et qui reflète vraiment l’intérêt d’autres personnes que des nôtres. »
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Pour poursuivre notre discussion et s’assurer que l’on dispose tou.te.s d’un vocable commun, dans tes travaux, tu abordes les tentatives de thérapies de conversion de personnes trans et non-binaires et pas forcément celles centrées sur l’orientation sexuelle ?
Florence Ashley – « Oui et non. Je place au centre de mon travail les personnes trans, et plus particulièrement les pratiques qui visent à changer l’identité de genre, l’expression de genre ou à décourager une personne d’être trans. Surtout en bas âge, les personnes qui usent de ce genre de pratiques vont dire : « L’identité de genre n’est pas encore formée, et l’objectif est donc de prévenir le développement d’une identité trans ». Mais oui, je parle plus largement que ça. Mais je crois que les pratiques de conversion anti-trans nous disent beaucoup sur comment approcher celles qui visent l’orientation sexuelle. Je ne pense pas que ce soit des enjeux complétement séparés, tant sur le plan politique qu’historique et pratique.
Par exemple, mon modèle de loi, touche tout autant les pratiques de conversion visant l’orientation sexuelle et inclut même des portions sur les chirurgies faites sur les nouveau-nés et nouvelles-nées intersexes. Sur le plan conceptuel ce sont tout autant des pratiques de conversion et même si elles ont leurs propres spécificités et différences, l’idée de séparer ces pratiques reviendrait à tirer une ligne un peu artificielle entre certaines pratiques et d’autres. Par exemple, c’est ce qui a fait que sur la plan historique, être trans et être gay était souvent perçu comme une dysfonction hormonale et qui appelait à une intervention, à même titre que les nouveau-nés et nouvelles-nées intersexes. Pensons aussi au fait qu’historiquement, les pratiques sur ces individus tout juste venu.e.s au monde étaient fondamentalement liées à un désir de binariser les corps pour naturaliser une conception du genre très andosexe et binaire mais aussi hétérosexuelle. Les chirurgies génitales, plus particulièrement sur les nouveau-nés et nouvelles-nées intersexes sont motivées par un désir de faciliter un type très particulier de rapport sexuel dans le cadre d’une relation monogame, cisgenre, hétérosexuel. Encore-là sur le plan historique, c’était souvent une anxiété voir même une panique morale afin de définir si la sexualité des personnes intersexes, en fonction de leurs corps, serait une forme d’homosexualité qui menait à réaliser ces chirurgies-là ; en notant que les chirurgies intersexes ont leur propre formes, leurs histoires et spécificités[5]. Ce qui est d’ailleurs aussi le cas des pratiques visant les personnes trans et les pratiques visant l’orientation sexuelle. Il y a vraiment une toile normative qui les lie ensemble de sorte à ce que ce soit artificiel d’essayer de les séparer, d’où le fait de les mettre ensemble dans la loi modèle. En même temps, je suis contre l’idée de juste prendre la loi modèle et influencer cette partie-là sans parler aux communautés intersexes car dans certaines juridictions, les communautés intersexes veulent que ces chirurgies soient incluses dans les lois et ailleurs non. Au Canada notamment, en lien avec la complexité et la spécificité de la loi en lien avec le droit criminel où il y a une exception explicite qui permet ces chirurgies-là. Il y a donc besoin d’avoir une approche différente sur le plan politique mais je crois que c’est vraiment important d’inclure cette possibilité-là dans la loi modèle. Ce n’était pas de mon propre chef mais en collaboration avec des leader dans des communautés intersexes qui ont justement suggéré et encouragé cette inclusion-là et qui ont été absolument essentiel.le.s à la formulation de la loi modèle.
Tout ça pour revenir à l’idée que non, ce n’est pas seulement sur les personnes trans, pour plusieurs raisons. Ultimement, si je fais une proposition de loi modèle, j’ai pas le choix d’inclure toutes les pratiques de conversion mais aussi car à un moment donné, les pratiques qui visent l’identité de genre sont souvent exactement les mêmes que celles qui visent l’orientation sexuelle. Je pense notamment à la clinique UCLA où le but était de viser les jeunes « garçons efféminés » pour décourager le développement tant de l’homosexualité que de la transitude. C’était donc un but double, car être trans, était perçu comme une version plus poussée d’être gay. Car on était dans une vision très psychanalytique et même un peu proche de la pensée du XIXème siècle avec cette logique de bisexualité universelle et d’inversion sexuelle. Donc oui, le livre centre les expériences trans mais de bien des façons est tout aussi informatif pour toutes formes de pratiques de conversion. »
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci beaucoup, il y aurait tellement à dire ! Pour finir, nous aimons s’intéresser aux retombées d’une telle action qu’est la tienne. Quelles pourraient être les effets de la publication de ton livre sur toi, ton parcours, mais aussi les narratifs produits sur les personnes trans ?
Florence Ashley – « Étant dans le monde académique, je pense que nécessairement, les retombées positives seront les plus grandes sur moi. Publier un livre, surtout au doctorat et dans une presse universitaire réputée aura forcément une plus-value sur mon profil et mon CV. Sur un plan cynique on pourrait dire que je pourrais être la seule personne qui bénéficiera de tout ça, espérons que non, mais je pense qu’il faut avoir une ouverture à cette possibilité-là. Pour moi, la plus grande retombée, ce serait pas l’avantage sur ma carrière, même si j’y suis attachée, mais c’est plutôt de dire que si il y a une personne dans le monde qui ne vit pas de pratiques de conversion à cause de mon livre c’est aura valu la peine. Tout ce travail pour une vie, c’est assez. Les vies des personnes trans ont une valeur infinie et si je peux en sauver une avec ce travail-là ça aura valu la peine. Ensuite j’espère aussi que si c’est trop espéré que ça sauve une vie, au moins qu’il y ai des personnes qui se sentent comprises et entendues grâce à ce livre-là. Souvent avec mes travaux je reçois des courriels qui me disent : « Ton article m’a vraiment fait sentir comme si quelqu’un me comprenait, comme si mon expérience était sur page. » et ces courriels-là, c’est l’essence même de tout ce que je fais.
Ensuite, quelles retombées sur la communauté ? J’en ai aucune idée. Je pense que c’est important dans le monde universitaire d’avoir une bonne dose de cynisme et de doute quant à l’importance de nos travaux. J’aime mieux sous-estimer l’impact que mes travaux auront que de le surestimer, surtout dans un monde qui a tendance à priser ce que les universitaires font. C’est tant un mythe qu’une propagande néolibérale que de nous convaincre que l’Université est libératoire car tant qu’on croit ça, on redirige nos efforts vers l’Université où on est beaucoup moins un danger pour la structure sociétale actuelle et pour les institutions de et au pouvoir. Dans ce sens-là, je me demande si il y aura un effet sur les communautés ou si c’est vraiment juste une œuvre qui va être en pratique relayée à une œuvre de vanité. J’ai beau avoir témoigné à l’Assemblée Nationale, est-ce que ce que j’ai dit à eu un effet ? Probablement pas. Est-ce que les mots que j’ai suggéré qui se sont retrouvés dans la loi auront un effet réel sur son application et son impact ? Probablement pas. Est-ce que la présence de la loi elle-même va faire beaucoup pour les communautés 2SLGBTQIA+ ? Honnêtement je ne le sais pas. Je sais que ces loi-là sont très peu efficaces. J’ose espérer qu’elles ne sont pas entièrement inefficaces. Mais, à ce niveau-là, ce n’est qu’espoir. »
Concluons ce Grand entretien consacré au travail de Florence Ashley et à son récent ouvrage Banning Transgender Conversion Practices – A Legal and Policy Analysis avec plusieurs références pour aller plus loin !
Deux articles écrits de la main de Florence, l’un résumant le livre et qui a été écrit pendant la rédaction de celui-ci : We need clear laws against conversion therapy et un autre rédigé lorsque le gouvernement québécois travaillait le projet de loi 70 sur les thérapies de conversion : Le projet de loi 70 sur les thérapies de conversion doit aller plus loin
Finalement, nous vous recommandons les activités et actions du Center for Applied Transgender Studies. Le 13 avril dernier, Florence donnait une conférence en lien avec son ouvrage en présence de Kelley Winters. Cette discussion a pu être l’occasion pour l’autaire de présenter son livre, tout en arborant une belle paire de boucle d’oreilles représentant un dinosaure en honneur au Jurassic Clark… Voici deux citations issues de la rencontre :
- “I’m approaching scholarship to not let people becoming scholarship.“
- “I have hope for my book but I don’t have expectations.”
Par ailleurs il était également possible de lire à travers les commentaires des messages encourageants tels que :
- “As an aspiring trans scholar in Texas, your work is a vital way to bring these issues to attention of policy makers and individuals.”
L’ouvrage de Florence Ashley ne parle pas uniquement des pratiques de conversion. Elle parle des survivant.e.s, des individus et des communautés qui vivent sous la pression de dynamiques cliniques et politiques. Souvenons-nous que selon une récente étude[6], certaines des personnes trans interrogées ayant vécues des pratiques de conversions ont été orientées par des professionnel.le.s de santé.
[1] Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, Pratique des thérapies dites « de conversion » Rapport de l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, 1er mai 2020. Page 23.
[2]Les3sex* & Club Sexu, Apprendre à nous écrire : guide et politique d’écriture inclusive.
[3] « L’ethno/graphie. Du grec, «ethnos»: culture, communauté d’êtres, nation ; et «graphie»: écriture, description. […] L’ethnographe a le loisir d’expliquer le comment et le pourquoi des choses ainsi que le sens des expériences, ce qui n’est pas nécessairement possible quand on met en relation deux variables quantitatives par exemple. » (Fortin, 2022). Le préfixe « auto » vise à proposer une analyse personnelle et réflexive de sa propre expérience du monde social.
[4] Aller à la rencontre des personnes concernées, faire des entrevues, des observations.
[5] L’équipe de Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures renvoie notamment vers les travaux de la professeure et collègue Janik Bastien-Charlebois.
[6] Sexual orientation and gender identity and expression conversion exposure and their correlates among LGBTQI2+ persons in Québec, Canada.